Herwig

          Qu’il est joli, ce village français aux maisons grises. Et comme il a envie de s’étendre, Herwig, dans ces prés verts que surplombe son avion !

Que de charmantes choses à voir aux côtés des nuages ! Que de clochers, que d’églises qui lui rappellent celles de son enfance. Que de champs, que de lacs, que de vies inconnues éparpillées sur cette terre qu’il découvre depuis le ciel. 

Quel dommage qu’il soit de son devoir d’y semer la mort.

Il aurait mené une bien jolie vie, Herwig, s’il n’était pas si obéissant. 

Dès son plus jeune âge, la hiérarchie représentait une manière efficace d’organiser sa vie. Et puis, il est un peu ailleurs, Herwig, il est un peu rêveur.

Il allait au catéchisme, et priait Dieu.

Aujourd’hui il pilote un bombardier, et crie, parmi la foule semblable des jeunes hommes sans rêves que la guerre occupe, à la gloire du Führer. 

Herwig n’est pas violent : c’est à peine s’il était tout à fait nazi. 

Seulement, voilà ! 

À l’aube de l’année 40, Herwig a vingt-six ans, et ne maîtrise ni les arts ni les sciences. Il lui manquait l’endurance du médecin et la dextérité du menuisier.

Piloter un avion, ce n’est pas bien difficile, il a appris. Suivre les ordres : c’est inné. 

Alors, sinistre oiseau, il vole et bombarde ce monde qu’il s’était tant figuré depuis sa Bavière natale.

Parce qu’il n’est pas cruel, Herwig pense parfois à sa défunte mère qui avait des amis français. Il pense à cette fille rencontrée à Berlin quelques années plutôt. D’où venait-elle, de Rennes ou de Lyon ? Et Lyon, était-ce si loin du nord ? Il espérait que oui, tant la fille était souriante.

Herwig attend la fin de la guerre avec impatience. Il se mariera, sera fleuriste, et visitera peut-être Paris. 

Pour l’instant il faut tirer, alors il tire, et tirera jusqu’à ce qu’on lui ordonnera de cesser de tirer. 

C’est un peu triste, de devoir brûler ces marguerites, ces innocents et ces pâquerettes.

Et puis tout de même, amèrement il se dit qu’il était bien joli, ce village français où des enfants ont dû naître et mourir. 

– Sarah BENHAMADI –