Midsommar et Hérédité, le cinéma complexe d’Ari Aster

Midsommar et Hérédité, le cinéma complexe d’Ari Aster

Hérédité (2018) et Midsommar (2019) demeurent aujourd’hui, pour plusieurs critiques, les seuls films qui méritent le titre de successeurs de L’exorciste . Mais, pourquoi ? Et surtout comment ont-ils réussi à révolutionner le cinéma d’horreur malgré les nombreuses contributions  de grands réalisateurs de renom tels que James Wan ou Guillermo del Toro (pour ne citer que les plus récents) ?

En effet, le cinéma d’Ari Aster est bien trop complexe et significatif pour être qualifié de « cinéma pop-corn » ; traitant de plusieurs thématiques profondes, il représente, à l’écran, les pires peurs que peut connaître le commun des mortels.

Mais, cela ne nous a certainement pas échappé : la fin de ces deux œuvres était plus qu’obscure nécessitant, en effet, une certaine connaissance ésotérique, mais aussi une attention particulière aux détails présents dans le film.

Hérédité peut, probablement, être qualifié du film le plus perturbant de cette dernière décennie. Car sous ses traits de mélodrame mystico-familial se cache une fin assez sombre dont le réalisateur offre des clefs disséminées tout au long du long-métrage.

Hérédité nous raconte l’histoire de la famille Graham, déjà assez bien malmenée dès le premier intertitre du film où nous apprenons qu’elle vient de perdre sa matriarche, Ellen.

Dès les premières minutes du film, le décor est posé, avec les trois générations des Graham : la matriarche qui a des « rituels » et amis secrets qu’elle n’a jamais présentés aux membres de sa famille, Annie (fille d’Ellen, incarnée par la talentueuse Toni Collette — connue pour son interprétation dans Le Sixième Sens) construit de sinistres maisons miniatures de sa vie, enfin la petite Charlie, dessine les visages de ses rencontres quotidiennes sous d’effroyables traits.

 

Et puis, il y a Peter (Alex Wolf). Il a, de toute évidence, du mal à s’intégrer dans l’ambiance tendue engendrée par sa famille. Enchaînant les soirées alcoolisées, sous weed, il se fiche pas mal de sa sœur cadette ; et lorsque cette dernière meurt par sa faute, lors d’un accident de voiture, la famille vit une réelle descente aux enfers.

Midsommar, lui, suit l’histoire de Dani (Florence Pugh) après qu’elle a perdu l’entièreté de sa famille dans une tragédie. Son petit ami Christian (Jack Reynor) lui propose alors un road-trip en campagne suédoise avec des amis, dont Pelle qui les invite à assister à une curieuse cérémonie antique au solstice d’été, celle du Midsommar, dans le village natal de ce dernier.

Cette cérémonie, incluant prise de psychotropes, amène les participants du rite à contempler le soleil (qui rayonnera plus de 23 heures, sur la surface des plaines de campagne) et à désigner l’une des femmes présentes Reine de mai, c’est-à-dire cheffe spirituelle et temporelle de la secte. C’est ainsi que l’ambiance (se déroulant entièrement pendant une journée en plein soleil), passe d’étrange à inquiétante à mesure que les protagonistes disparaissent un par un. Deux thématiques principales se dégagent alors et lient les deux films :


  • Le deuil

Hérédité et Midsommar commencent tous les deux par une ou des morts. D’abord, celle d’Ellen, dans Hérédité. C’est en cela que nous retrouvons la dimension ésotérique des films d’Aster. Ellen laisse deux indices derrière elle ; d’abord une lettre, que sa fille, Annie, découvre et qui lui explique que sa mort n’a été qu’un événement pour la guider vers « quelque chose de plus grand ». Ensuite, le personnage de Joanne ; d’abord présentée comme une amie, elle se révèle être la messagère d’une secte, la même secte que celle d’Ellen, et tentera tout pour permettre à leur divinité, Paimon (roi de l’Enfer), de prendre possession du corps de Peter. Annie doit alors surmonter son deuil ; un deuil qui ne fait qu’empirer à mesure que Paimon se rapproche de sa famille. Un deuil qui finira par consommer toute sa famille et dont l’apothéose sera la possession de Peter. Dani, dans Midsommar, connaît un deuil qu’elle devra surmonter, elle aussi, mais réussit cet exploit, car contrairement à Annie, elle trouve refuge dans les esprits de Hälsingland (lieu de la secte) ; elle est l’antithèse d’Annie mais aussi une sorte de réincarnation d’Ellen. Le film, contrairement à Hérédité, se termine par une palette de couleurs claires et une catharsis collective où tous les personnages sont heureux de célébrer la mort des protagonistes dont Dani est le témoin ; la secte et la religion sont alors dépeints comme un lieu de communion, un lieu où les personnages sont entraînés dans l’erreur et la perdition, un lieu fatal d’où l’on ne peut s’échapper.


  • Des fables du XXIe siècle

Midsommar se termine par un cri de souffrance commun des membres de la secte pendant que les cris intradiégétiques de Christian, en train de brûler vif à l’intérieur du temple, retentissent dans le film. Dani finit par surmonter son deuil et un sourire traverse son visage. Bien que le sourire cathartique de Dani soit assez inspirant pour toutes celles et ceux qui s’identifient à sa lutte, il demeure effrayant. Dani est, en effet, passée d’une situation d’isolation à une joie extrême, mais à quel prix ? Neuf de ses amis sont morts et elle finit par rejoindre une secte qui n’hésite pas à droguer et à sacrifier des personnes pour nourrir son combat. Midsommar devient alors une excellente fable, matérialisée par la célèbre phrase : « be careful what you wish for » ; Dani a donc conclu un pacte avec le Diable et personne ne peut savoir ce qu’elle est capable de faire en tant que membre de la Hårga.

Hérédité traite, quant à lui, de la fatalité de la vie. C’est en effet une malédiction qui s’est abattue sur la famille Graham. Annie mentionne, au début du film, son frère qui s’est suicidé car “ persuadé que sa mère voulait le faire posséder” . C’est ensuite au tour de l’enfant de cette dernière, Charlie, possédée et morte à cause de l’inattention de son frère, et Annie elle-même finira par transmettre l’esprit de Paimon à son fils, Peter. Ce dernier est « Paimon depuis sa naissance » selon une interview d’Aster. La famille est alors condamnée depuis plus d’une génération, à cause de la matriarche Ellen, prouvant la vision pessimiste d’Ari Aster sur la vie : nous sommes prédestinés à une place dans la société et ce, sans que nous puissions nous y opposer.

Nos pauvres personnages n’avaient donc aucune chance d’échapper à leur destin. Dani est devenue la Reine de mai en tuant ses amis, tandis que Peter est couronné huitième roi de l’Enfer en assistant, impuissant, à la mort horrible de tous les membres de sa famille.



L’adhésion de Dani à la secte est montrée grâce au plan final qui la cadre devant les membres de Hågra, tandis que Peter (qui n’adhère pas au culte de Paimon) est représenté en face de la secte — qui est hors champ.

 

Abderrahmene Messabehi